Le nouvel horizon des Entrepreneur(e)s d’intérêt général. Entretien avec Ishan Bhojwani

12 février 2024 par Thomas Parisot

Devenir Entrepreneur(e) d’intérêt général, c’est travailler sur des améliorations très concrètes du service public, qui font sens pour leurs bénéficiaires.

Plus de 200 Entrepreneur(e)s d’intérêt général (EIG) ont contribué depuis 2016 à amorcer des services numériques utiles, ouverts et souverains en s’appuyant sur des démarches d’exploration et d’émergence. Aujourd’hui, en cohérence avec la nouvelle stratégie numérique de l’État, le programme EIG se renouvelle et renforce sa visée entrepreneuriale. Pour clarifier les enjeux de cette réorientation, nous avons interrogé Ishan Bhojwani, chef du département Incubateur de services numériques.

L’an dernier, la Direction interministérielle du numérique (DINUM) a revisité son ambition et son action. Au terme d’un travail collaboratif, le programme EIG a été réorienté. Il se concentre désormais sur le recrutement d’entrepreneur(e)s aguerri(e)s, pour assurer des fonctions de pilotage stratégique. Pourrais-tu nous partager le diagnostic établi ? Quels problèmes cette nouvelle mouture des EIG se propose-t-elle de résoudre ?

Nous avons déjà réussi à faire émerger des démarches intrapreneuriales. Des agents publics en prise avec le terrain ont été les témoins de problèmes dans la relation entre les usagers et l’administration. Il se sont emparés de ces problèmes, ont travaillé à les résoudre avec l’appui d’une solution numérique. Partis d’une page blanche, ils ont réussi à développer des services numériques à impact national, aujourd’hui plébiscités, comme La Bonne Boîte, pour trouver les entreprises qui recrutent près de chez soi, ou encore SignalConso, pour aider au règlement à l’amiable des litiges.

Ces personnes, nous en avons effectivement trouvé parmi les agents publics. Mais parfois, des administrations veulent améliorer le service public par le numérique et ont identifié des problèmes réels autour de politiques publiques, comme la rénovation énergétique des bâtiments ou la lutte contre le harcèlement scolaire, sans réussir à identifier cet agent public intrapreneur. Pourquoi ne pas aller chercher des profils entrepreneuriaux dans le secteur numérique ou l’économie sociale et solidaire ?

Cette nouvelle mouture du programme EIG se propose d’ouvrir les missions proposées à des entrepreneurs aguerris, qui sont aussi en capacité d’apporter leurs compétences et leurs savoir-faire au service des politiques publiques. Recruter ces compétences n’est pas aisé pour les administrations publiques. Le programme EIG a donc évolué pour réunir des conditions plus efficientes et attractives. C’est du moins le pari que nous faisons pour la 7ème promotion.

Les administrations partenaires ont leur culture de travail et leurs processus de décision. Doté(e)s d’une solide expérience entrepreneuriale, les EIG ont un ADN différent. Comment les EIG seront-elles et -ils encapacité(e)s à assurer le pilotage stratégique ?

Nous souhaitons recruter des entrepreneurs pour qu’ils apportent un regard neuf. Il peut arriver, en travaillant sur une politique publique, d’avoir des idées préconçues sur telle solution numérique magique qui répondrait au problème qu’on se propose de résoudre. Nous avons donc besoin de la compétence des EIG pour nous challenger, pour challenger aussi les administrations qu’ils rejoindront, afin de vérifier que les idées préconçues ne sont pas des vues de l’esprit.

La mission de la DINUM, au travers de ce programme qui recrutera et embarquera les EIG de la 7ème promotion, c’est aussi de protéger la créativité et l’efficience des EIG et de s’assurer qu’ils soient en condition de se concentrer sur la résolution du problème qui leur aura été confié. Pour ce faire, les EIG suivront l’approche beta.gouv.fr, qui a déjà fait ses preuves au sein de l’administration pour faire émerger des services numériques à impact.

Les entrepreneur(e)s font preuve de leadership, aiment concrétiser une idée au plus vite, peuvent parfois prendre des risques. Dans quelle mesure les administrations publiques sont-elles demandeuses d’une transformation entrepreneuriale ?

Il ne suffit pas d’une loi ou d’un décret pour que la réalité sur le terrain change. Les administrations publiques en sont conscientes. Elles savent qu’il n’est pas toujours facile d’atteindre le dernier kilomètre, d’améliorer réellement les services publics et la vie des citoyens. Elles savent aussi que le niveau d’incertitude est élevé quand un plan d’action national, dont l’idée a souvent émergé dans les bureaux des administrations parisiennes, doit se confronter au terrain et se concrétiser.

Les administrations publiques sont donc demandeuses de compétences qui leur permettent de mettre en oeuvre les politiques publiques, de telle sorte qu’elles atteignent leur but avec la plus grande efficacité, d’une manière adaptée au terrain. C’est pour ces enjeux d’exécution des politiques publiques que les démarches entrepreneuriales nous semblent pertinentes.

Jusqu’à présent, le programme était porté par Etalab, le département en charge de la politique de circulation des données. En s’appuyant sur l’approche beta.gouv.fr pour soutenir des politiques publiques, opère-t-on un changement de paradigme ?

Etalab et beta.gouv.fr partagent un certain nombre de valeurs et de bonnes pratiques qui façonnent le numérique public. Ces deux département sont engagés en faveur de l’ouverture des données, de la transparence des algorithmes et de la contribution au logiciel libre. Les équipes s’appuient sur des standards de qualité pour construire des services publics numériques exemplaires.

En inscrivant le programme EIG aux côtés du programme beta.gouv.fr, l’objectif est de placer les EIG au cœur de l’écosystème des incubateurs publics, présents dans presque tous les ministères, de les intégrer davantage à la communauté interministérielle qui se réunit chaque mois pour partager des retours d’expérience. Nous concentrons ainsi nos énergies pour mieux accompagner la transformation numérique de l’État.

Imaginons que tu rencontres un(e) entrepreneur(e) du secteur privé. Par exemple, une Chief Technology Officer qui aurait co-fondé une start-up. Ou encore un Head of Product dans une scale-up. Comment leur présenterais-tu la mission des EIG ?

Cette CTO ou ce Head of Product feront le même métier en devenant EIG, au service de l’intérêt général ! Ils se verront confier un objectif, par exemple augmenter le nombre de logements dans lesquels sont engagés des travaux de rénovation énergétique. Leur mission principale, ce sera de trouver le chemin le plus court pour avoir un premier impact mesurable en 6 à 12 mois. Pour ce faire, ils disposeront d’un budget, afin de constituer une équipe dédiée à prouver le potentiel de la solution. Sur le modèle des levées de fonds dans le secteur privé, en fonction des résultats mesurés, l’administration pourra décider de poursuivre le projet.

Ce qui change par rapport au secteur privé, c’est qu’à la place d’avoir un board de VC et de Business Angels, qui demandent de prouver que le service génère des revenus et que la stratégie de croissance est viable, l’EIG et son équipe organiseront un comité d’investissement avec leur sponsor de haut niveau dans l’administration, les responsables de l’incubateur ministériel, voire un membre du comité de direction de la DINUM. L’objectif de ce comité est de démontrer à l’administration que le service numérique a généré un impact positif sur les politiques publiques, de façon à ce qu’elles soient en mesure de décider de réinvestir dans le projet. Ces impacts positifs peuvent être par exemple la rénovation énergétique des bâtiments, la lutte contre le harcèlement scolaire ou la simplification de démarches administratives.

Projetons-nous dans un an ou deux, si des EIG voient leur contrat de projet prolongé au-delà des 12 mois prévus initialement. En quoi cette expérience pourrait-elle s’avérer stimulante ?

Devenir EIG, c’est d’abord travailler sur des améliorations très concrètes du service public, qui font sens pour leurs bénéficiaires. C’est aussi avoir l’opportunité de découvrir le fonctionnement de l’État et des services publics en étant au coeur d’une direction interministérielle. La mission permet de découvrir des personnes qui travaillent sur toutes les politiques publiques, du transport à l’énergie en passant par la défense et la justice. Mais l’objectif du programme c’est aussi de convaincre des compétences de haut niveau dans le numérique de rester au sein de l’État, pour participer de façon pérenne à sa transformation.

Dans une autre vie, aurais-tu aimé devenir Entrepreneur d’intérêt général ? As-tu une idée d’un défi que tu aurais aimé relever ?

J’ai déjà joué en quelque sorte le rôle d’un entrepreneur d’intérêt général, sans en avoir le titre, quand j’ai pris la responsabilité de la plateforme transport.data.gouv.fr. Les sujets autour de la donnée m’intéressent. Je pense aux données sur les médicaments. Des EIG ont d’abord relevé les défis DataMed et GDR Santé à l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). L’approche entrepreneuriale se poursuit aujourd’hui au sein du réseau beta.gouv.fr avec Joëlle Chong et Thaïs Coutinho, deux EIG qui sont restées à l’ANSM.

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